Vous le savez maintenant, un film tourné avec une caméra n'est autre qu'une succession d'images photographiques.
À partir de là, on peut imaginer jouer avec un appareil photo pour créer des images impossible à réaliser avec une caméra.
Le timelapse
Filmer un ciel rempli de nuages, c'est bien, mais si vous le filmez à la cadence normale d'un film, cela risque d'être ennuyeux et trèèèès long!
Mais si, au lieu de prendre 25 images en une seconde (comme avec une caméra), vous n'en preniez qu'une toutes les 2 minutes (avec un appareil photo par exemple), et que vous les diffusiez ensuite à 25 images par seconde, votre film durera beaucoup moins longtemps (50 fois moins), et deviendra tout d'un coup extraordinaire.
En réalité, on arrête le mouvement pour le reprendre plus tard. En anglais, on "stop the motion", ce qui donne à cette technique le doux nom de stop-motion.
Ici, les temps entre chaque image sont tellement longs qu'on lui a donné le nom particulier de timelapse : des bouts de temps accolés.
Dans un film sorti récemment (et que je vous conseille par ailleurs), Fantastic Fungi, Louie Schwartzberg filme de fascinants timelapses de champignons, réalisés en studio.
La pixillation
Maintenant, si avec la même technique, nous gérions nous-mêmes ce qu'il se passait devant la caméra ?
On pourrait par exemple photographier des acteurs, puis, une fois la photo prise, changer la position de ces acteurs, reprendre une photo, re-déplacer les acteurs, reprendre une photo, etc.
On fait plus qu'arrêter le mouvement : on gère tout nous-mêmes.
Cette technique porte le doux nom de pixillation (qui n'a rien à voir avec la pixellisation).
Voici un court-métrage culte, Neighbours, réalisé avec cette technique en 1952 par Norman MacLaren et qui lui a valu l'oscar du meilleur court-métrage.
Je ne résiste pas à l'envie de vous renvoyer vers un autre petit bijou de la pixillation : Submarine Sandwich de PES.
Et l'incroyable artiste Kevin Parry vous dira tout sur les secrets de cette technique, en plus de vous faire bien rire.
Réaliser un film en stop-motion
Allons un tout petit peu plus loin : au lieu d'utiliser des acteurs, pourquoi ne pas utiliser des personnages qu'on aura construit nous-mêmes ?
Mais oui, avec de la pâte à modeler par exemple ?
Vous l'avez compris, c'est la technique employée pour Wallace & Gromit, par les studios Aardman.
Voici Adam, un de leur premier court-métrage nommé aux Oscars, réalisé par Peter Lord, créateur des studios Aardman.
Mais comment font-ils ?
C'est plus facile à expliquer que pour la 3D, mais ce n'est certainement pas moins long à mettre en oeuvre ! Décortiquons !
1. Idées et storyboard
Comme pour tout film, la première phase est évidemment la phase de recherche : trouver la bonne idée, écrire le script, dessiner le storyboard.
Il faut ensuite mettre en place toute la production : qui fait quoi à quel moment, et à quel prix.
Cette phase est commune à n'importe quel film, mais il est toujours bon de la rappeler.
2. Construction des décors
Avant de pouvoir animer des personnages, il faut créer leur environnement à leur échelle.
Ce qui suppose de construire tous les décors de la scène dans les moindres détails, afin que cette scène devienne crédible. Ci-dessus une scène du film Isle of Dogs de Wes Anderson, dans lequel le niveau des détails est très impressionnant.
3. Élaboration des personnages
Ensuite, il faut construire les personnages, qui doivent être animables, en plus d'exprimer des émotions. Il faut donc prévoir des squelettes solides qu'on puisse bouger sans risquer de les casser, et prévoir toutes les expressions possibles en amont afin de ne plus avoir à y penser lors de l'animation.
Voici par exemple un ensemble de bouches interchangeables pour le film du studio Aardamn, Les Pirates, Bons à rien, Mauvais en tout.
4. Éclairages et caméras
Ensuite, il faut bien évidemment installer les éclairages, qui ne devront pas vaciller ni changer de couleur lors de l'enregistrement. La lumière du jour est par exemple proscrite.
De subtils changements de couleur non prévus peuvent devenir très problématiques, et comme une scène peut prendre plusieurs jours à animer, c'est un point à ne pas négliger.
Quant aux caméras, elles sont la plupart du temps fixes, mais aujourd'hui, l'ordinateur associé à la robotique crée des miracles : on peut programmer le déplacement de la caméra grâce à des petits moteurs qui la contrôlent sur des rails.
On appelle cette technique le motion control : à chaque nouvelle image, la caméra se déplace exactement là où on lui a demandé d'aller. Cela crée des mouvements de caméra très fluides, qu'il aurait été très compliqués de réaliser à la main.
5. Animation
Et enfin vient le temps de l'animation, dans lequel chaque objet est déplacé de quelques millimètres seulement afin de rendre les mouvements le plus fluide possible.
Et pour que l'animateur se concentre sur ce qu'il sait faire, chaque objet est structuré de telle manière qu'il puisse être manipulé efficacement. C'est ce qu'on appelle le rig, c'est-à-dire le squelette animable de l'objet. C'est un concept qu'on retrouve aussi dans l'animation 3D.
Un rig peut structurer un personnage, mais aussi une feuille de papier qui vole, une vague qui bouge, ou encore un arbre qui frémit.
Voici une vidéo qui décrit les différentes étapes évoquées plus haut avec le magnifique film Kubo et l'Armure Magique, de Travis Knight, réalisé par le studio Laïka. Vous pourrez y observer les décors, les éclairages, la caméra en motion control, ainsi que le personnage animé.
6. Montage, mixage, musique et bruitages
La particularité des films d'animation est que souvent, les voix sont enregistrées avant sa réalisation afin de pouvoir caler les animations de manière très précise sur chaque voix.
Ensuite, comme les films 3D, les images photographiées sont intégrées à d'autres images, les couleurs sont ajustées, des effets sont ajoutés lors de la phase de compositing.
Enfin, comme tout film, il doit être monté, associé à la musique et bruité.
Une fois exporté, il ne reste plus qu'à l'apprécier 🙂
Et le motion design dans tout ça ?
Vous l'avez compris, c'est une technique bien plus utilisée dans le domaine artistique que commercial. Mais un vent nouveau souffle sur cette technique grâce à la tendance du fait-main, et de cette touche d'émotion inégalable.
Je vous sens curieux, alors voici quelques films supplémentaires qui l'utilisent :
- L'étrange Noël de Mr Jack de Henry Selick
- Les Noces Funèbres de Tim Burton
- Ma vie de Courgette de Claude Barras
- Fantastic Mr Fox de Wes Anderson
Il existe quelques publicités réalisées en stop-motion mais elles restent rares en raison du budget, des temps de production, et de l'expertise nécessaire pour en arriver à bout.
Mais si vous comprenez ce qui donne tout le charme de cette technique d'animation, alors vous pouvez l'appliquer à vos films en motion design en déplaçant les éléments graphiques à la main à chaque image-clé, sans passer par l'interpolation calculée par le logiciel.
C'est ce que nous avons fait à notre échelle sur ce film de prévention.
Conclusion
Le stop-motion demande du temps, de l'argent et de l'expertise, et est peu applicable au motion design, mais on peut facilement imaginer mêler les différentes techniques dont j'ai déjà parlé sur ce blog (animation traditionnelle, animation assistée par ordinateur, et animation 3D) et créer un film court vraiment différent et original !
Et vous, avez-vous déjà essayé de faire bouger des objets pour raconter une histoire 🙂 ?
Alexandre Soubrier est un motion designer indépendant qui se passionne pour l'illustration et l'animation. Il a créé le podcast Exquises Exquisses dans lequel il s'entretient avec des auteurs-illustrateurs, et produit ce blog.
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